Traitement de l’acouphène: Le counselling

Introduction

Lorsque Jastreboff publie en 1995 son modèle il a déjà une idée claire de la méthode thérapeutique qu’il juge la plus efficace. Pour lui aux Etats Unis et, de l’autre côté de l’Atlantique à Londres, J.Hazell commencent la description de la Tinnitus Retraining Therapy (TRT).

Les principes de base en sont jetés : pour réussir une thérapie de l’acouphène une double approche auditive et psychologique s’impose.

Les piliers en sont l’enrichissement sonore (sound enrichment) et le conseil dirigé (directive counselling). C’est à ce dernier point que nous consacrerons la présente veille.

Définition

Le counselling se définit comme « un conseil thérapeutique dirigé dont l’objectif à travers une démarche éducative est de modifier les cognitions des patients à l’égard de l’acouphène » si l’on se tient à la définition proposée par le prof. B. Meyer dans son rapport à la société française d’ORL (2001). Toutefois remarquons que le terme anglo-saxon n’est pas trop de mise dans la langue de Voltaire mais aussi que sa traduction se révèle quelque peu hasardeuse. Nous proposerons celui de « dialectique » définit comme l’« Ensemble des moyens mis en oeuvre dans la discussion en vue de démontrer, réfuter, emporter la conviction » (Le Robert).

Voilà le problème posé : il va falloir convaincre le patient… C’est que le patient acouphénique, le plus souvent, s’est vu répété de multiples fois qu’il n’y avait aucune solution à son problème ou pire l’administration de médications peu efficaces l’ont convaincu en cas d’inefficacité d’avoir une maladie incurable.

L’objectif de l’audioprothésiste sera donc d’établir un argumentaire destiné à permettre au patient de comprendre ce dont il souffre, rétablir la vérité médicale, supprimer les idées fausses (distorsions cognitives), faire accepter le port d’un appareil auditif qui en modifiant l’entrée sensorielle permettra grâce à la plasticité cérébrale une réorganisation corticale contrôlée par le professionnel compétent.

Le but final de cette modification sera d’inhiber l’activité des noyaux du tronc (en particulier le noyau cochléaire et le colliculus inférieur) qui ont la fâcheuse tendance à produire des influx nerveux spontanés – et donc à générer acouphène et hyperacousie – en cas de sous-stimulation. Le rôle le plus important du counselling est donc de permettre ou d’accepter l’appareil et pour cela de comprendre le mécanisme neurophysiologique sous-jacent qui permettra le masquage ou la sortie du champ de conscience de l’acouphène.

Objectifs

Avant de démarrer les séances de counselling il conviendra d’éliminer tout malentendu et ne pas réaliser de promesses irréalistes. A la base il faudra chasser les demandes ou les volontés de retour à la case départ (Je veux que ça s’arrête).

IL va de soi qu’il faudra expliquer au patient  qu’en médecine ce n’est pas lui qui décide ou exige ,ni même le thérapeute ; de même il sera de bon ton de réaffirmer qu’il n’existe aucune méthode thérapeutique pour l’acouphène répondant simultanément aux trois critères efficace à 100%, pertinent c’est-à-dire ciblé et sans effets secondaires.

Contenu

S’il est un mystère bien gardé c’est celui-là… Que dire au patient pour le rassurer, l’informer, modifier ses idées. A l’occasion de cours ou de congrès j’ai pu rencontrer tant Jonathan Hazell que ses collaboratrices (Jaquie Sheldrake ou Catherene Mc Kinney) que Pawell ou Margarett Jastreboff.

 

Figure 1 : Représentation de la base aux sommets des différents objectifs du

Counselling

Chaque fois je leur ai posé la question du contenu de leurs entretiens. En résumé on peut dire que la réponse est assez invariable, le contenu des séances de counselling c’est : « le modèle de Jastreboff » présenté de manière variée, captivante, illustrée et non répétitive : néanmoins le message doit rester le même ! Les mots « réorganisation corticale, plasticité cérébrale, sortie du champ de conscience, filtrage sous cortical, boucle d’emballement émotionnel » doivent revenir dix fois plus que « appareil auditif ou pile… » ! De la sorte l’appareil auditif n’est plus qu’un instrument destiné à modifier l’input sensoriel, l’audioprothésiste quitte ses habits de vendeur et intègre l’équipe de réhabilitation, la dimension médicale et neurologique du métier s’ouvre à lui.

Forme

Le principal outil du spécialiste du counselling est l’entretien avec le patient en difficulté de compréhension, relativisation, distinction, ou simplement d’acceptation. De nombreux audioprothésistes ont développé des compétences dans ce domaine. Nous avons pris l’habitude de revoir nos patients au moins quatre fois sur une période de trois mois au moins. Soulignons néanmoins que cette période d’essai prolongée est le propre de la TRT. En effet aucune modification ne se produit en termes de sortie du champ de conscience durant le premier mois – sauf chez les adolescents ou les sujets très jeunes. Un délai de trois mois est indispensable pour obtenir un début d’amélioration chez de nombreux adultes.

Distinctions

Dans la pratique deux types de counselling cohabitent : le counselling de support dont l’objectif sera une modification comportementale chez un patient dont la vie a été impactée par l’acouphène : il sera de préférence le fait d’un professionnel compétent en psychologie ; l’autre type de counselling appelé counselling informationnel fera partie intégrante du travail de l’audioprothésiste qui restituera la réassurance par une explication simple, normalisante et basée sur la neurophysiologie. Rappelons en outre qu’au cas où un problème d’ordre psychiatrique est décelé durant les entretiens avec le médecin ORL ou l’audioprothésiste le recours à un médecin psychiatre ou un thérapeute compétent est essentiel. De même deux approches peuvent être rencontrées, fonction essentiellement de la personnalité de l’audioprothésiste ou de façon plus générale l’audiospécialiste. Le counselling peut être soit centré sur le patient, soit sur le thérapeute.

Dans le premier cas le patient est intégré et on présuppose qu’il connait (ou peut comprendre) passivement ce qu’on va lui (ré-) expliquer. Le soignant est un guide et le patient est responsabilisé. La première question à poser à chaque visite intermédiaire avant la délivrance des appareils pendant l’essai sera « avez-vous bien porté vos appareils chaque jour, toute la journée ? ». Le patient devra alors comprendre qu’il ne s’agit pas d’un traitement à minima et que sa motivation (dans le port de l’appareil) est indispensable à la réussite du traitement.

Figure 2 : La roue du counselling et les différents aspects relationnels àaborder

 

Une dernière distinction parait importante dans le mode opératoire, celui du counselling individuel ou de groupe. Les avantages du counselling de groupe seront naturellement le gain de temps mais aussi de permettre la rencontre avec d’autres et partager son expérience.

De là le patient acouphénique se sentira moins seul au monde sera également plus autonome par rapport au thérapeute et aura des conceptions plus réalistes avec moins d’attentes démesurées. Toutefois dans notre société occidentale basée sur l’ego, les commentaires et le regard d’autrui surtout dans une relation thérapeutique peuvent compliquer la donne, écraser certaines personnalités et amener à un rejet de la formule proposée en raison de l’absence de lien personnalisé avec le thérapeute. Par ailleurs nous optons régulièrement pour les séances de counselling en couple et l’accompagnement du conjoint s’il existe. En effet les stratégies d’ajustement (coping) du patient en souffrance seront principalement basées sur son soutien principal. Mari ou épouse lorsqu’ils acceptent de se libérer engrangent le message, évitent la reproduction forcément partielle des explicitations retenues par le sujet acouphénique, l’interprétation des énoncés, la transformation des recommandations. Nos observations nous montrent que le succès en thérapie acoustique de l’acouphène est souvent plus important, plus régulier lorsque les acouphéniques viennent aux séances de counselling à deux.

Les outils

La première tâche de l’audicien désireux de se tourner vers la prise en charge de patients acouphéniques sera d’élaborer un plan de son discours de façon à reproduire à chaque fois le même message et à ne pas improviser – tout en le nuançant en fonction des aptitudes de chacun à comprendre, intégrer puis accepter celles-ci. Seule cette uniformité permettra de modifier la liste des notions abordées, rectifier le discours. Nous aborderons ultérieurement la création de banques d’images indispensable à une prise en charge de qualité. En conclusion il convient de rappeler que beaucoup d’audioprothésistes pratiquent le counselling comme Mr Jourdain, c’està- dire sans le savoir. Beaucoup ont développé des compétences dans le dire même si la matière est ici différente de celle utile en audioprothèse conventionnelle. Le counselling est indissociable de notre activité professionnelle, le développement de notre profession passe aussi par la qualité de celui-ci.

 

Auteurs :

Maud Real (logopède/audicien)

Philippe Lurquin (Audicien)

Les Cahiers de l’Audition – N°5/2012 

 

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